Entretien avec Mohamed Oudor
,Président du Conseil municipal de Fam El Hisn et défenseur chevronné des oasis.
1-Mr Oudor, parlez-nous de l'oasis Tanzida, entre hier et aujourd’hui ?
Pendant longtemps Tanzida fut une oasis pied dans l’eau. En effet cette oasis créé sur les berges de l’ouedTamanart avait cette particularité d’abriter en son sein, au beau milieu de l’oued, un lac permanent d’où les palmiers dattiers et autres arbres puisaient directement la ressource dont ils avaient besoin.
Avec la succession des années de sècheresse, le lac s’est asséché et commence alors le long processus d’agoniede l’oasis, pour aboutir à son état actuel de dépérissement.
Sur le plan historique, Tanzida remonterait à l’époque almoravide dont la forteresse Tachoukalt, située à 2 kms au Sud-Est de Tanzida, constitue le témoignage encore vivant du passage par ce haut lieu de l’histoire par des Almoravides. Tanzida constitue, de ce fait, un espace d’identification historique et social.
Sur le plan agricole, l’oasis de Tanzida abrite les meilleures variétés de palmiers dattiers : Boufegous, Bouserkriet Jihel. La réputation de ses dattes va bien au-delà des frontières de la Commune et de la région avoisinante.
2- L'oasis de Tanzida n'est pas un cas isolé, d’autres en sont touchées de plein fouet par ces variationsclimatiques, que s'est-il exactement passé pour que nos oasis se trouvent dans cet état de délabrement,d’abandon voire d’agonie ?
En effet, depuis plusieurs décennies déjà, les oasis marocaines souffrent de plusieurs mutations néfastes, aux rythmes de plus en plus accélérés, qui se sont traduites par une dégradation manifeste et dangereuse de cet écosystème particulier.
Cette dégradation, due en particulier au changement climatique, est aggravée par une pression démographique et urbaine, d’une part, et par un comportement irresponsable de l’Homme, d’autre part. Cette dégradation s’est traduite par :
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La perte de 40% de la surface végétale pour plusieurs oasis du sud marocain,
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Le tarissement de plus de 50% des khettaras du Maroc,
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La réduction de 20% au moins des superficies céréalières et baisse de 40% de la production des dattes,
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Le dépérissement, à cause du Bayoud, des 2/3 du patrimoine phoenicole de certaines zones du territoire oasien,
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L’abandon de plusieurs Ksours, chefs d’œuvres architecturaux, ou leur invasion anarchique par le béton,
Ces photos aériennes de certaines oasis de la région se passent de tout commentaire.
3-Est-ce la faute uniquement au climat ou bien l'homme a aussi sa part de responsabilité ? Et comment réagit la population locale à ce phénomène ?
Comme indiqué dans la réponse précédente la dégradation aujourd’hui des oasis est la résultante de l’action, volontairement ou non, du comportement de l’homme, accentuée par le changement climatique.
Mais l’action de l’homme est particulièrement blâmable dans ce sens qu’il est à l’origine, pour une grande part,du réchauffement climatique, phénomène identifié par Jean Batiste Fourier depuis 1824 !
Depuis lors, malgré une prise de conscience planétaire de ce phénomène, les multiples sommets, conférences et colloques internationaux n’ont pas réussi à endiguer le phénomène, même pas à en atténuer un tant soit peu l’impact.
Au niveau des oasis, la population vit les sècheresses successives sans trop comprendre les mécanismes qui sontà leur origine. Leurs conditions de vie précaires prennent le dessus sur les questions de préservation de l’environnement. Aussi le fatalisme joue plein son rôle.
L’implication des populations dans toute stratégie d’atténuation et d’adaptation passera nécessairement par des actions intensives et ciblées de sensibilisation.
4-Quelles actions urgentes concrètes préconisez-vous, sinon celles qui vous semblent prioritaires dans ce contexte ?
Dans la mesure où les oasis, territoires non émetteurs de gaz à effet de serre, n’ont aucun moyen d’agir au niveau des pays industrialisés seuls responsables du phénomène, au moins, deux trains de mesures sont à entreprendre par nos gouvernants en faveur de ces territoires : des mesures d’atténuation et des mesures d’adaptation.
En effet, il faut atténuer l’impact négatif des catastrophes «naturelles» (sécheresses prolongées, inondations, incendies des forêts, …), tout en mettant en place des stratégies volontaristes d’adaptation : mobilisation de la ressource en eau de surface pour régénérer les nappes phréatiques taries ou en voie de l’être, utilisation intensives des énergies renouvelables pour le pompage de l’eau domestique et d’irrigation et aussi pour l’éclairage domestique et public, ….
5- Plusieurs programmes sont lancés simultanément dans la région, dont le modèle d'adaptation aux changements climatiques, reste une meilleure attitude pour faire face à un tel phénomène, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les besoins d'adaptation ?
Comme déjà signalé plus haut, pour nos territoires oasiens, condamnés à une disparition programmée (à l’horizon 2050 selon Mme La Ministre marocaine de l’environnement) si rien n’est fait, seule la combinaison, maitrisée, de deux stratégies claires d’adaptation et d’atténuation est en mesure de produire des résultats tangibles sur le long terme.
6-Mr Oudor, qu’est-ce qui explique votre engagement et votre mobilisation pour nos oasis, ces merveilles en péril climatique ?
Je vous dirais comme Astérix (tout petit je suis tombé dans soupe aux oasis). En fait, je suis né et j’ai grandi sous les palmiers, ces lieux magiques ont fortement marqués mes douze premières années. C’est forgée alors en moi une conviction : les territoires, quels qu’ils soient ne seront jamais mieux servis que par «leurs enfants». C’est cette conviction qui m’a poussé à rentrer, en 1992, dans la politique locale, d’abord en tant que conseiller communal puis comme Président de la Commune depuis 1997. J’ai eu également l’honneur de représenter la Commune et la Province de Tata au niveau du Conseil régional (1997-2003 et 2003-2007) et au niveau du Parlement en tant que député (2002_2007).
7-Un proverbe russe dit "L’eau n’oublie pas son chemin" et Antoine de St-Exupery a écrit "Ce qui embellit le désert c'est qu'il cache un puits quelque part», est-ce toujours exact ? Y va-t-il de l'espoir qu'un jour nos oasis reverdissent ou sont-elles désormais condamnées ?
En guise de réponse je vais paraphraser feu SM le Roi Mohammed V qui avait dit au sujet de la destruction d’Agadir suite au tremblement de terre de février 1960 « Si le destin a décidé de la destruction d’Agadir, sa reconstruction est confiée à notre volonté et à notre détermination ».
Ainsi, pour nous, enfants des oasis, les changements climatiques ne doivent pas être vus comme une fatalité qui nous accable et nous anesthésie. Nous devons prendre en charge notre destin, aussi tragique qu’il soit, et lutter pour changer les choses avec les femmes et les hommes de bonne volonté et aussi l’appui inconditionnel de l’Etat. C’est dans cette approche que l’inscrit la création toute récente du «Réseau de Défense et de Développement durable des Oasis» avec comme mission principale de porter la voix des oasis auprès des responsables étatiques, des organisations internationales, de la presse et évidemment auprès des populations sans l’implication desquelles rien se sera fait.